Z'imagenvrac
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 Vide...

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dany

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MessageSujet: Vide...   Vide... EmptyVen 18 Juil 2008 - 17:34

Les mots qui font le vide

C’est le vide qui vous remplit. Vous marchez sans peine dans les rues, vous saluez les gens. Vous habitez toujours la même maison, la même saison, froissez les mêmes brins d’herbe en remontant l’allée qui mène à votre porte. Pourtant, vous vous sentez nulle part. Comme si vous étiez en suspension au-dessus d’un trou noir, dans un monde sans matérialité. Vous ne ressentez aucune douleur. Vous ne ressentez aucun chagrin. Il n’y a ni joie, ni peine. Vous êtes plein de rien, plein seulement de votre vie, votre vie qui n’est rien.

Le matin, le vide est plus grand. La nuit, vous vous peuplez de rêves et cela vous remplit. Pour un moment. Le réveil ramène le vide. Au début de la journée, il fait un peu mal. Juste un peu. Cette sensation ressemble à celle de se retrouver nu un matin d’hiver, loin des couvertures, juste avant de passer des vêtements ; on a un peu froid, mais c’est supportable. Le vide vous donne un petit frisson à chaque matin, mais c’est supportable. Vous l’habillez chaudement avant d’entamer la journée, alors vous ne le sentez plus.

Le vide vous vieillit. Il travaille en silence, dans votre dos. À chaque matin, vous avez un peu plus de mal à vous lever. Le soleil brille mais vous ne le voyez presque plus. Vous frissonnez plutôt, quand il vous tape dans les yeux. Ce n’est rien de très important pour vous, le processus a été très lent, trop lent pour toucher la conscience. Vous n’aimez plus le soleil. Il est synonyme de lever, de nouvelle journée à passer dans ce corps vide que vous traînez. Ainsi sont vos pensées, chaque matin. Au bout de deux cafés, le vide est un peu noyé, et vous ne nourrissez plus de ressentiment envers l’astre du jour. Vous sortez, mais en marchant lentement, parce que le corps, même vide, est un peu plus lourd, un peu plus difficile à traîner chaque jour.

Dans la rue, le vide vous entoure. C’est la première impression, celle que l’on dit être la meilleure, celle que vous appréhendez chaque fois que vous sortez. Le vide est dans le regard des gens. Le vide remplit vos sens. Vous les voyez partout, il n’y a que des regards vides, tellement vides qu’ils ne voient même pas les yeux des autres, identiques aux leurs. Vous, vous les voyez. Ça vous donne parfois l’espoir que votre vide à vous est moins grand que celui des autres. Mais l’espoir n’a rien à quoi s’accrocher dans un corps vide. Alors il s’envole, et vous restez derrière.

Vous aimez aller au centre commercial, car on y trouve de tout pour remplir des vides. Le lèche-vitrines est tellement remplissant que parfois, vous avez des lourdeurs d’estomac. Il y a cette boutique où vous aimez particulièrement vous rendre, celle tenue par un homme à cheveux de neige, qui se cache derrière son comptoir. Il n’en sort que lorsqu’un badaud s’intéresse aux mots qu’il vend, bien reliés ensemble dans du cuir, ou, dans le cas des livres modernes, dans de la colle et du carton. Les yeux du marchand de mots sont pleins. Quand il vous voit, le libraire vous fusille du regard. Il vous en remplit. Il est plein de mots, plein de senteurs de cuir et de papier encré, plein d’histoires, de passions, d’opinions, de rêves. Des rêves. C’est la sensation que vous avez chaque fois que le libraire vous remplit : vous êtes dans un rêve, vous dormez, et cette autre partie de vous qui n’est accessible que dans les songes se promène dans les allées, regarde les titres sur les tranches, lit quelques lignes sur une page et une autre. Vous passez l’après-midi avec les mots, à chaque jeudi. L’absence du vide que vous y vivez est vitale. En revenant de la librairie, le vide a du mal à se réinstaller. Vous avez la tête pleine de mots, de titres, d’imaginaire de tant d’autres humains au regard plein. Comme le libraire. Les regards pleins font de la vie et la mettent sur le papier.

Un jeudi soir, revenu de la librairie repu de mots, le plein vous a étouffé. Tout d’un coup. Le plein est encore plus cruel que le vide : il prend possession de l’esprit, des idées, du coeur, des yeux, de l’âme. Comme le vide, avec la différence que ce dernier n’impose rien ; le plein, lui, impose tout. Il enlève la liberté. Il prend possession de vous. Le vide peut être rempli du contenu de votre choix. Le plein prend la place qu’il veut, sans vous laisser placer un mot. Le plein met ses mots où bon lui semble, habituellement où il sera senti. C’est ainsi qu’il fait mal.

Vous avez passé plusieurs semaines rempli de ce plein. Vous avez souffert. Le matin, au lieu du vide un peu frisquet que vous vous empressiez de couvrir de lainage, vous êtes confronté à ce plein qui n’a besoin d’aucun vêtement. En fait, vous avez chaud, vous avez envie de rester nu, de vous plonger dans un bain glacé, de vomir jusqu’à remplir un océan de ce plein que vous ne pouvez plus porter. C’est l’hiver et vous sortez sans manteau. Les gens vous regardent de leurs yeux vides, étonnés de vous voir ainsi exposé à la bise, étonnés de voir un homme aux yeux différents, aux yeux pleins. La vision de leur vide vous donne un malaise. Vous êtes plein ; eux, vides. Vous voulez leur donner un peu de ce plein, pour vous décharger, retrouver le vide qui vous semble maintenant un espace désirable, un havre de paix accessible au commun des mortels mais qui vous a exclu. Vous voulez remplir tous ces yeux vides pour ne plus sentir le plein, pour ne plus vous sentir différent, comme une rose dans un champ de tulipes, vous voulez vous fondre dans le vide et laisser le plein derrière vous, en gibier pour le vide des gens de la rue.

Vous rentrez de votre promenade et vous vous mettez nu. Depuis que le plein vous habite, vous aimez vous promener nu dans votre appartement, dans l’espoir informulé que le plein s’écoule, s’échappe par les pores de votre peau. Vous vous sentez lourd, les vêtements pèsent une tonne sur vos épaules déjà trop fatiguées de vous porter. Vous passez la journée affalé sur une chaise ou dans un fauteuil, et vous laissez le plein bourdonner. Vous pouvez maintenant l’entendre, il a rempli votre esprit et vous parle. Vous l’entendez, tranquillement vous le déchiffrez. Sans comprendre. Le plein n’explique pas son apparition violente, ni sa présence trop lourde. Il est. Vous avez accepté de faire ménage avec lui, pour le meilleur et pour le pire. Le plein vous parle comme vous parle le regard du libraire. Vous n’avez pas revu l’homme à la tête enneigée depuis l’apparition du plein. Ce soir, vous pensez à lui. Le plein se tasse un peu pour lui faire une place. Les yeux du vieillard s’offrent à vous, pleins. Ses yeux sont pleins de mots. Les mots des livres.

Plus tard, beaucoup plus tard, durant la nuit, vous avez pris une plume pour la première fois. Nu. La nuit contient le mot nu, vous vous sentez partie intégrante de la nuit, dans le noir qui est un vide, un vide qui permet d’évacuer le plein... Vous écrivez ces pensées sur la feuille. Et d’autres pensées sur la nuit, le vide, le plein. Et vous sentez la nuit tomber en vous, pendant que vous mettez ses étoiles à l’encre noire sur le papier.

© Élise Denault

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